Quel fléchage des aides pour l’accompagnement des compagnies de transport aérien et maritime ?

À l’arrêt quasi-total depuis un mois, et avant un redémarrage qui sera sans aucun doute très lent dans les prochaines semaines, il est désormais évident que l’État va devoir accompagner voire recapitaliser ou nationaliser les grandes compagnies françaises de transport aérien et maritime, soit Air France d’une part et CMA-CGM de l’autre.

Ces deux secteurs étant des émetteurs significatifs de gaz à effet de serre (4% des émissions mondiales pour l’aérien et 4% également pour le transport maritime), il serait incompréhensible de se contenter de distribuer l’argent des contribuables sans poser les conditions permettant d’assurer leur transformation stratégique vers une véritable décarbonation. L’aérien par exemple croissait de +6% par an avant la crise. Pour ces deux secteurs, il n’existe pas d’alternatives technologiques permettant une décarbonation significative à horizon 10 ou 20 ans.

Ainsi les évolutions budgétaires pour aider financièrement à la reprise de ces deux secteurs doivent impérativement être fléchées pour réussir ce défi ambitieux. Pour autant, il n’est pas question de sacrifier nos entreprises nationales si c’est pour permettre à des concurrents étrangers moins régulés de prendre leurs parts de marché. Il s’agit donc davantage de changer les règles du jeu du secteur dans son ensemble que d’imposer des contraintes spécifiques à Air France et CMA-CGM. Comme l’ensemble des États vont soutenir leurs compagnies aériennes et maritimes, la crise offre l’occasion d’un changement qui serait quasi-impossible en temps normal.

Cette note avance quelques propositions afin de concilier des objectifs en apparence opposés : sauver Air France et CMA-CGM tout en accélérant la mise en œuvre d’une stratégie vertueuse de leurs secteurs vers la décarbonation.

 

Proposition #1 : dénoncer les traités internationaux interdisant la taxation du kérosène et du fioul maritime.

Cette proposition doit être portée au niveau de l’UE par le gouvernement français. Cet engagement doit être explicite lors du vote du PLFR afin qu‘Air France et CMA-CGM bâtissent des business plans prenant en compte cette nouvelle règle du jeu.

La dénonciation des traités doit permettre la mise en place d’une taxe à taux unique ou très proche au sein de l’UE, dont les revenus seraient affectés en totalité à des investissements de transition écologique ou à des actions d’accompagnement des populations impactées.

Cette taxe permettra d’envoyer un signal-prix clair et croissant dans le temps, afin de guider progressivement le secteur vers un moindre volume d’affaires en réduisant la demande.

Elle corrigera l’injustice actuelle qui consiste à taxer lourdement le carburant des voitures individuelles, utilisées par tous et donc également par la partie de la population la moins favorisée, alors que les voyages en avion, qui concernent les classes supérieures et sont largement utilisés par les entreprises, bénéficient d’un carburant détaxé.

L’ensemble des pays européens vont annoncer, ou ont déjà annoncé, qu’ils soutiendraient leurs compagnies aériennes. Ce soutien global au secteur est une chance : c’est le moment adéquat pour changer la taxation du kérosène et du fioul sans qu’il y ait des gagnants ou des perdants.

Cette mesure devra impérativement s’accompagner de pressions envers les pays limitrophes à l’UE (Royaume-Uni, Suisse, Norvège, Turquie, etc.) afin d’éviter le dumping et les délocalisations des vols longs courriers. L’UE en a les moyens, mais n’en a pas l’habitude : cela aussi doit changer.

Concernant le niveau de taxation, il peut s’agir soit de fixer un niveau ad-hoc, soit d’inclure le secteur aérien dans le marché européen du carbone, dont les cours sont néanmoins très bas aujourd’hui.

 

Proposition #2 : obliger, au niveau européen, toutes les compagnies aériennes à compenser leur impact carbone.

Aujourd’hui, certaines compagnies compensent systématiquement, d’autres pas, laissant à leurs passagers la décision de compenser ou non. Un règlement européen pourrait imposer la compensation systématique des émissions de CO2. C’est une mesure a minima.

La question se pose de l’utilisation de l’argent payé pour la compensation. Soit cet argent peut être récolté par les ONG spécialistes de la compensation pour effectuer des actions de compensation (ex : planter des arbres) ; soit il peut être centralisé pour abonder un fonds de R&D liés à la transition écologique.

 

Proposition #3 : Exiger des entreprises qui bénéficieront de mesures de soutien d’engager un plan à long terme de décarbonation, avec des jalons contraignants.

Cette mesure consiste à demander à l’entreprise de piloter sa croissance de telle sorte qu’elle soit compatible avec une trajectoire ambitieuse de réduction de ses émissions. Ces objectifs pourront bien évidemment être atteints par des gains d’efficacité, des améliorations technologiques ou un recentrage du business model pour concentrer l’activité sur les trajets pour lesquels il n’existe pas d’alternatives.

 

Proposition #4 : mettre fin aux dessertes aériennes intérieures partout où une alternative terrestre en train existe.

La fermeture des lignes aériennes sur les trajets pour lesquels le train est une alternative raisonnable doit être prévue, pour ne conserver que les plus longues distances (et les vols à destination de la Corse + DOM). Cette mesure doit être mise en œuvre progressivement (étalée sur 10 ans), car elle va entrainer la fermeture de nombre d’aéroports de province et nécessite donc une concertation large avec les élus ainsi que la mise en œuvre de plans de reconversion.

 

Proposition #5 : Imposer aux grandes entreprises ladoption dune trajectoire de réduction de leur empreinte carbone liée aux transports.

Renforcer les obligations des entreprises en termes de responsabilité sociale et environnementale (RSE), en imposant l’adoption d’une trajectoire de réduction de l’empreinte carbone liée aux transports. Cette trajectoire deviendrait progressivement obligatoire, en commençant par les entreprises cotées, pour s’imposer dans un second temps à toutes (en adéquation avec la taille et les moyens de l’entreprise). Cette proposition est portée par TEEM dans sa note de doctrine à paraitre.

Cette décision aurait un fort impact sur les vols commerciaux d’affaires. De plus, elle inciterait les entreprises à intensifier l’utilisation des moyens de communication et de travail à distance initiée et largement adoptée dans le cadre du confinement.

 

Concernant la publicité pour le transport aérien et les politiques commerciales agressives, TEEM soutient les propositions du WWF qui nous apparaissent pertinentes et efficaces.

Réguler la publicité faite par les agences de voyage et les compagnies aériennes :

  • Limiter fortement l’exposition à la publicité sur les vols ou/et faisant la promotion de voyages en avion & interdire les programmes de fidélisation des voyageurs.
  • Imposer une mention obligatoire, a minima aussi visible que le prix, de l’impact en termes d’émissions de GES, accompagné de points de comparaison pédagogiques, sur toute publicité incitant à prendre l’avion.

Exemple de comparaison pédagogique :

1 A/R Paris-New York = 1 tonne CO2 = 1 année de chauffage du domicile d’une personne

Télécharger la note au format PDF :

Quelles_contreparties_au_sauvetage_des_compagnies_de_transport_aérien

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