La transition écologie exige une parole publique digne de confiance

Par Frédéric Mailhos, Philippe Zaouati et Audrey Zermati

La crise sanitaire met en lumière de façon spectaculaire la défiance croissante des citoyens vis-à-vis des institutions et des décideurs publics. La perte de confiance se généralise, les théories du complot fleurissent, la fracture entre les citoyens et ceux qui les gouvernent se creuse.

Cette rupture de la confiance se perçoit aussi dans les discours sur la transition écologique. Or, celle-ci exigeant des décisions fortes, une constance sur une période longue et une vision à long-terme, cette confiance est indispensable. Au risque que les objectifs eux-mêmes ne soient plus compris.

Quelle drôle d’époque ! Une époque d’incertitude, où la parole présidentielle, la loi votée ou l’engagement contractuel se heurtent de façon frontale à la réalité économique et au retard technologique. C’est évidemment un mal de notre temps, plus qu’une instabilité inhérente à la question écologique, mais dans le contexte de la transition, ce mal a des conséquences encore plus fortes.

L’actualité des derniers mois met en relief cette difficulté à travers plusieurs cas d’école.

Commençons par le sujet des néonicotinoïdes. La loi adoptée début novembre par l’Assemblée Nationale vient déroger, certes de manière limitée mais sans ambiguïté, à l’interdiction votée pourtant quatre ans plus tôt. Comment analyser ce revirement ? Est-ce une adaptation de bon sens ou une capitulation devant des lobbys ? Faut-il sanctuariser dans la Constitution un principe de non-régression sur les protections environnementales ?

De façon plus confidentielle, la remise en cause dans la Projet de Loi de Finance 2021 des tarifs de rachat d’un millier de contrats d’électricité photovoltaïque signés avant 2011 interpelle. Présentée comme une décision de bonne gestion permettant d’économiser plusieurs centaines de millions d’euros par an d’argent public, cette décision n’en est pas moins une remise en question unilatérale de contrats signés par l’état et donc une rupture de confiance potentielle avec un secteur pourtant considéré comme stratégique.

Enfin, nous sommes confrontés à l’amer constat que les engagements d’interdiction du glyphosate ne seront pas tenus. Trois ans après que le Président de la République s’y soit personnellement engagé, il semble clair qu’à peine la moitié des usages du glyphosate auront disparu en 2021. Plus encore que pour les néonicotinoïdes, la recherche d’alternatives n’a pas été suffisamment rapide ou efficace.

A ces trois exemples, nous pourrions ajouter les débats autour de la Convention Citoyenne. La promesse d’étudier « sans filtre » les propositions des 150 citoyens a d’abord été amoindrie par les « jokers » demandés par le Président de la République. Désormais, ce sont de nombreuses propositions qui sont, parfois à juste titre, rejetées ou retardées par l’exécutif. Là encore, la parole publique, les promesses politiques ont leur revers, une déception, une frustration et in fine une perte de confiance.

Au-delà des échecs quelles dessinent, ces actualités illustrent un mal de notre époque où il devient de plus en plus difficile de se porter garant d’une décision, dès lors que nous ne contrôlons pas les nombreux facteurs qui l’affectent. Voter une loi ne la rend pas immédiatement effective. Nombre de juristes nous alertent régulièrement sur l’urgence à appliquer les lois existantes, avant de vouloir à tout prix en voter de nouvelles.

Ces exemples révèlent aussi la façon dont les gouvernements successifs se sont emparés de la question écologique. Alternant entre décisions emblématiques et longues périodes de silence, c’est comme si nos dirigeants livraient un combat à géométrie variable dont le volontarisme fluctue selon les pressions économiques ou de l’opinion publique, plus ou moins prête à consentir à certains efforts. Ainsi, au gré des événements et des résultats électoraux, le mouvement des gilets jaunes éteindra l’euphorie du #MakeOurPlanetGreatAgain.

Pour trouver une méthode nouvelle, il convient toutefois de nuancer et d’analyse dans le détail les exemples cités plus haut.

En apparence similaires, ils différent dans leurs résultats. Concernant les néonicotinoïdes, la loi était ambitieuse et forte et même après sa remise en cause partielle récente, elle aura permis de supprimer plus de 90% des usages de ces substances dangereuses. En comparaison, l’engagement présidentiel, que la majorité n’a pas souhaité graver dans marbre de la loi, ne permettra finalement qu’une baisse de 50% des usages, sur une période comparable.

Quelle est la bonne stratégie ? Vaut-il mieux une loi qui va un peu trop loin et que l’on corrige à la marge ou un engagement qui n’engage personne ? Comment trouver un juste milieu qui garantisse la validité et la constance de la parole publique et un minimum de flexibilité pour s’adapter au réel ?

Nul doute pourtant que l’engagement écologique est souvent de bonne foi, et que les arbitrages sont arrachés de haute lutte. Ceci est d’autant plus important qu’en réalité le bilan est bon et que nous n’avons pas à rougir de l’action du gouvernement depuis 3 ans. Mais comment s’engager dans une transformation majeure de nos modes de production et de consommation quand on constate une telle fébrilité, avec des retours en arrière, trois, quatre, voir dix ans plus tard ? Quel signal envoie-t-on aux citoyens ? Quelle confiance peut-on accorder aux annonces ambitieuses du plan de relance, par exemple pour le développement d’une filière hydrogène, dont les coûts restent incertains ?

Si finalement tout est révisable, effaçable, et dérogeable, si plus l’objet est ambitieux ou coûteux, plus la parole donnée peut être relativisée, comment se fier à la parole de l’Etat ?

L’écologie est un domaine dans lequel on aime trop souvent se gargariser d’objectifs importants voir inatteignables dès lors que l’on ne se compromet pas trop à les mettre en œuvre. La neutralité en 2050, la trajectoire nucléaire, la fin du plastique, autant de grandes visées à long terme qui sont trop rarement accompagnées d’un plan actions précis et suivi dans le temps.

Nous plaidons pour une politique clairvoyante ! Détachons-nous de cet optimisme d’opportunité quand il s’agit de prendre nos nouveaux engagements. Sans cela, nous risquons la désillusion et la défiance, bien plus coûteuse à long terme, au-delà même de la question écologique. Cette clairvoyance et ce retour à confiance passe selon nous par trois règles :

  • Non-régression : il faut sanctuariser la règle de non-régression, sauf dans des cas exceptionnels mettant en risque d’autres objectifs constitutionnels fondamentaux ; le retour en arrière et le message qu’il donne n’est plus acceptable ;
  • Flexibilité : les lois doivent prévoir des phases d’adaptation, des modalités précises de dérogation, des périodes d’expérimentation ;
  • Plan détaillé de mise en œuvre : chaque loi doit être complétée et liée aux moyens à mettre en œuvre pour assurer la faisabilité des décisions prises, notamment lorsque des recherches d’alternatives sont nécessaires. Ce plan comporte obligatoirement des étapes intermédiaires, permettant de valider les progrès accomplis.

Si la Loi n’est plus utilisée comme un symbole politique, mais comme un mode de gestion de la transition, si elle intègre un mode « correction d’erreur » nécessaires pour ces sujets difficiles, alors en contrepartie, nous pourrons garantir des progrès réguliers et une plus grande confiance dans la parole publique. C’est une nécessité pour la translation écologique, et sans doute une inflexion généralisable à d’autres domaines de l’action publique.

4 réflexions sur “La transition écologie exige une parole publique digne de confiance”

  1. Je suis aussi relai ” Transition Écologique En Marche “, et engagé comme vous, pour échanger et faire des propositions d’amélioration.
    Pour autant, je ne partage pas votre vision décrite dans votre tribune, notamment sur votre demande de sanctuariser la règle de non-régression.
    Je partage entièrement la position du Président de la République, énoncée dans le récent entretien : https://legrandcontinent.eu/fr/2020/11/16/macron/
    “Je pense que la lutte contre le dérèglement climatique et pour la biodiversité est centrale dans les choix politiques que nous devons faire. Cela ne veut pas dire qu’elle prime de manière irrévocable. Je l’ai déjà dit, je ne suis pas pour un droit de la nature qui serait supérieur aux droits de l’homme.”
    Pour vous donner un exemple, dans la lutte contre le coronavirus, il est essentiel de concilier les enjeux sanitaires et économiques. Octroyer une valeur constitutionnelle au principe de non-régression reviendrait à dire que la considération environnementale l’emporte, de manière générale, sur toute autre considération.
    En droit, ce n’est pas souhaitable.
    C’est au politique d’arbitrer, pas au juge.
    Je ne mets pas en cause votre louable intention, que je partage, mais les moyens proposés pour y parvenir.
    Je pense souhaitable également de renforcer les évaluations régulières des politiques publiques, au lieu de prévoir un plan détaillé dès l’élaboration de la loi.
    Nous sommes engagés dans un mouvement, échangeons nos arguments, débattons ensemble pour progresser.

  2. Point de vue très intéressant, avec une analyse claire de la situation et des propositions.
    Je reprends tout à fait à mon compte l’analyse des effets délétères de la perte de confiance des citoyens dans leurs « élites » politiques, scientifiques, économiques…
    S’agissant de la politique, il faut effectivement retrouver un socle minimal de confiance dans la parole publique qui s’appuierait plutôt sur une vision et un cap que sur des programmes et annoncent nécessairement conjoncturels rapidement pris à contre-pied par l’environnement externe (comme par exemple l’épidémie de COVID). A défaut, cela génère la détestable impression d’engagements non tenus et rend anecdotiques les vraies avancées. Bref, il faut avoir une stratégie stable dans la durée ET EN MËME TEMPS un tactique qui évolue et s’adapte à la situation.
    Je relève aussi les éléments d’analyse suivant :
    ­- la nécessité d’avoir des politiques pérennes par delà les échéances électorales,
    ­- l’écueil consistant à croire qu’une loi résout un problème du seul fait d’avoir été édictée et votée, il faut aussi que ladite loi soit applicable faute de quoi on décrédibilise la loi et les responsables politiques,
    – arrêter la course aux objectifs plus ambitieux que ceux des voisins sans savoir comment les atteindre, autrement dit lutter contre ce travers bien français que j’appelle le « syndrome de 1er de la classe ».
    Sur les moyens de restaurer de la confiance je suis plus partagé :
    ­- Principe de non-régression dans la constitution : je ne suis pas partisan d’instituer une telle règle dans la constitution pour les mêmes raisons que Patrick PERVEN (l’environnement primerait sur tout le reste), mais aussi parce que cela serait probablement aussi inefficace pour la confiance que le principe de précaution l’est vis-à-vis de risques possibles mais inconnus.
    ­- Flexibilité : je suis assez en phase avec cette proposition. D’ailleurs n’est-ce pas déjà le cas pour certaines lois.
    ­ Plan détaillé de mise en œuvre : je suis assez en ligne avec cette proposition. Resterait à préciser ce que l’on fait si les progrès attendus ne son pas au rendez-vous.

    Pour me faire pardonner mes réserves précédentes, je formulerais volontiers la proposition suivante : ne peu-on pas envisager une véritable instance commune au sénat et au parlement qui serait un comité de suivi d’application des lois ? Il existe bien le système de commission d’enquête mais c’est toujours autour de sujets ponctuels ou d’actualité.
    Merci à vous deux pour votre contribution au débat.

  3. marie ange sebiran

    Bonjour, je suis une AL des portes du lauragais depuis peu, et je souhaite m’investir sur les questions liées à l’environnement. Comment puis je avancer dans ma région (occitannie) ? merci à vous marie ange sébiran 06 63 21 92 51

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